Témoignage d’une patiente : Diagnostic expéditif, traumatisme durable. Plongée dans l’enfer d’une erreur psychiatrique

En Suisse, nous aimons penser que nos soins sont parmi les meilleurs du monde. Les classements internationaux nous placent d’ailleurs régulièrement en tête. De l’extérieur, on pourrait croire que la psychiatrie, elle aussi, a définitivement tourné la page de ses heures sombres, que les récits d’horreur d’une autre époque appartiennent au passé. Et si, dans bien des cas, les pratiques se sont modernisées, il subsiste pourtant des retards frappants, surtout dans le domaine de la santé mentale.

Ces réalités demeurent souvent invisibles. Non seulement parce que la psychiatrie reste méconnue et stigmatisée  « le patient est fou, il exagère », « ils savent ce qu’ils font »  mais aussi parce que le silence est entretenu à plusieurs niveaux : par les patients eux-mêmes, qui craignent le jugement ou revivre leur traumatisme ; par la société, qui préfère détourner le regard de ce qui dérange ; par les institutions, qui mettent en avant leurs réussites et étouffent leurs échecs ; et par les médias, rarement enclins à s’emparer de récits complexes et douloureux, dont il est parfois difficile de différencier le vrai du faux.

C’est dans ce contexte que je souhaite partager l’histoire d’une de mes patientes. Une histoire difficile à croire, et pourtant authentique : j’ai vérifié ses dires et recoupé les faits.

Mes articles touchant parfois plusieurs milliers de lecteurs, l’objectif de ce témoignage n’est pas de choquer, mais de mettre en lumière ce qu’on ne dit pas, ce qu’on ne voit pas, mais qui existe bel et bien. Par souci d’anonymat, certains détails ont été volontairement modifiés.

Voici donc mon interview avec Monique (nom d’emprunt), 22 ans à l’époque des faits.

Monique, peux-tu me dire comment cela a commencé, pourquoi tu t’es rendue aux urgences psychiatriques ?

« En fait, j’avais depuis des années des problèmes de consommation […]. J’étais stressée parce que j’avais des examens à passer et mon envie de consommer était devenue difficilement contrôlable. Je ne consommais plus rien à ce moment-là. Mon idée, c’était d’aller chercher de l’aide. Ils m’avaient dit que je pouvais toujours venir si j’avais besoin. Alors j’y suis allée. »

Et ils t’ont aidée ?

« Non, je suis tombée sur un psychiatre absolument merdique. Il m’a regardée à peine dix minutes. Il n’a pas vraiment posé de questions, il a juste noté deux-trois trucs dans son ordinateur. J’étais en manque, stressée, nerveuse, je parlais vite. Et ça a suffi. »

Tu veux dire quoi par “ça a suffi” ?

« Pour lui, c’était une psychose. Il m’a dit que je délirais, que j’étais désorganisée, que je n’avais pas conscience de ma maladie. J’ai essayé d’expliquer, j’ai répété que je ne consommais rien, que je voulais seulement de l’aide pour ne pas replonger. Mais plus je parlais, plus il hochait la tête comme si tout confirmait son idée. Comme si j’étais déjà condamnée. »

Qu’est-ce que tu as ressenti à ce moment-là ?

« De l’injustice totale. J’avais l’impression que plus je me défendais, plus je m’enfonçais. Comme si mes mots m’accusaient. »

Et ensuite ?

« Ils m’ont enfermée dans un hôpital psychiatrique. Directement. Unité fermée, PAFA (Placement à des fins d’assistance ordonné par un médecin). Sans que je comprenne ce qui se passait, sans procès, sans explications claires. J’étais entrée volontairement pour chercher du soutien, et en quelques minutes je me suis retrouvée séquestrée. C’est ça le mot : sé-que-strée.

Les portes verrouillées. Mes affaires confisquées. Plus aucun droit. On me disait quand manger, quand dormir, avec qui parler. Comme une criminelle. On a voulu me faire avaler des médicaments, j’ai d’abord refusé. Mais on m’a vite fait comprendre que dire non n’allait pas arranger ma situation. J’étais donc indirectement forcée à les prendre. Au bout de quelques jours, j’ai quand-même arrêté de les prendre, parce que l’effet me fatiguait énormément et que ça me révoltait de devoir avaler des médicaments dont je n’avais pas besoin. C’était des médicaments qui assomment. Rien de plaisant ou de relaxant. Juste, ça écrase.

Et en plus, l’endroit était sale. Les toilettes étaient communes et dégueulasses. Les gens là-bas allaient vraiment mal, certains parlaient d’illuminati. Deux garçons se sont même battus, c’était violent. J’ai vu une patiente hurler pendant des heures et personne ne bougeait. J’avais peur, très peur. Ma voisine de chambre, elle, ne parlait pas. Je crois qu’elle avait un gros trouble mental. Elle ronflait et du coup je ne dormais pas… entre son bruit et le stress d’être enfermée là. »

Tu pensais encore pouvoir sortir rapidement ?

« J’ai pensé qu’en parlant avec le médecin de l’unité, l’erreur serait vite corrigée. Mais je me suis trompée. Avant même de me voir, elle avait déjà son opinion : j’avais une psychose. Donc peu importe ce que je lui disais, elle ramenait toujours tout sur cette soi-disant psychose. Le personnel me disait sans cesse : “votre état est très inquiétant”. Ça m’a rendue encore plus stressée. C’était l’enfer. »

Tu as essayé de contester, de te défendre ?

« Oui, mais le pire, c’est qu’intérieurement j’étais hyper en colère contre eux, et dès que je montrais mon énervement, ça servait de “preuve” supplémentaire. Pour eux, ma colère était un symptôme, une incapacité à contrôler mes émotions. Alors que je n’ai jamais eu de problèmes émotionelles dans ma vie. Et quand je me calmais, que je disais clairement que je n’étais pas psychotique, ils répondaient : “c’est normal que vous pensiez ça, c’est typique, les malades nient toujours leur psychose”. »

Ils t’ont expliqué pourquoi ils pensaient à une psychose ?

« Non. C’est seulement après une semaine que j’ai vu la feuille du psychiatre des urgences. Il avait écrit la raison du PAFA : idées de persécutions, bouffée délirante aiguë. J’ai googlé, et j’ai compris. En fait, ils pensaient que j’inventais le fait que mes camarades me taquinaient. Que c’était ça, les idées de persectution… J’avais raconté ça, et le psychiatre l’a interprété comme du délire. Une phrase banale, sortie de son contexte. »

Tu es restée combien de temps en tout ?

« Presque deux semaines. Au bout d’un moment, ils ont fini par comprendre que je n’étais pas folle. Selon eux, “la psychose était passée”. Mais selon moi, elle n’avait jamais existé. Encore aujourd’hui, je ne comprends pas comment ils ont pu croire ça. Je pense que j’étais trop stressée, trop nerveuse, et qu’une fois que le mot psychose avait été écrit, c’était comme marqué au fer rouge. Et en plus, j’ai loupé mes examens puique j’étais là-bas. J’ai dû les rattraper plus tard. Ca m’a posé beaucoup de problèmes.»

Et tes proches, ils ont réagi comment ?

« Je ne voulais prévenir personne. Mais ils ont quand même appelé mes parents. J’étais humiliée. J’ai vu dans leurs yeux qu’ils doutaient de moi. Comme si j’avais l’étiquelle : “notre fille est folle”. Je ne leur en veux pas, mais ça m’a brisée. Notre relation n’est plus la même aujourd’hui à cause de ça.»

Aujourd’hui, avec du recul, qu’est-ce que tu retiens de tout ça ?

« Que plus jamais je ne ferai confiance aux psychiatres. Je ne savais pas qu’on pouvait infliger ça à quelqu’un. Surtout de la part de soi-disant “médecins” qui sont censés vous aider. J’ai honte, je n’en parle à personne, parce que si je raconte, on me prendra pour une folle. Même si j’explique que c’était une erreur, les gens diront : “mouais, il y avait sûrement du vrai”.

Du coup j’essaie d’oublier… mais je n’y arrive pas. Quand je suis rentrée chez moi, j’ai pleuré des semaines. Je pleure encore aujourd’hui parfois. Je fais encore des cauchemars. Je crois que cette expérience m’a transformé, mais pas en positif. Et j’ai gardé une colère en moi qui ne me lâche plus. Je pense que je suis traumatisée à vie. Et l’ironie c’est que je suis ressortie tellement détruite que j’ai repris immédiatement la consommation. C’était la seule chose qui calmait ma douleur. Alors que j’étais venue à l’hôpital pour éviter une rechute, c’est exactement ce que leur “aide” m’a provoqué. »